Notre spécialité du jour : médecine générale
C’est plus gros que le bœuf que le médecin généraliste voulait devenir, presque aussi gros que le spécialiste (c’est dire !). Quel ne fut pas son émoi lorsque É. Guigou, pendant les débats parlementaires sur la loi de modernisation sociale1, déclara qu’il était temps de « redonne[r] toute sa place à la médecine générale, qui doit être reconnue au même titre que les autres spécialités » !
Le rêve devint (presque) réalité avec la publication du décret du 19 mars 20042 , qui laisse le champ libre à l’ordre national en matière d’attribution des spécialisations.
Les miracles se produisirent les 30 juin 20043 et 22 septembre 20044 : fut inscrite -parmi les prestigieuses spécialités « cardiologie générale », « neurologie » ou encore « médecine interne » du docteur House- la jeune « médecine générale ». Alléluia !
L’émancipation
De nombreux généralistes, encore tremblants à l’idée de pouvoir désormais se montrer fièrement aux côtés de leurs confrères spécialistes, se précipitèrent auprès de leur conseil de l’ordre pour obtenir le fameux sésame de spécialisation générale. Des commissions… spéciales de spécialisation en médecine… générale furent instituées dans chaque département à compter du 19 avril 20075 initialement jusqu’au 1er octobre 2010, puis jusqu’au 1er octobre 20126 pour faire face à l’afflux massif des joyeux candidats.
Le docteur P…, médecin à Grenoble, obtint son titre de spécialiste dès le 21 juin 2007. Grisé par le parfum de conquête soufflant à grands vents, il décida de s’extraire parfaitement de son ancienne condition : recevant ses patients, il se comporta en bon spécialiste… et factura ses consultations 25 € au lieu de 22 €. Pour faire bonne mesure, il cocha avec délectation la case « CS » correspondant, dans la nomenclature des actes professionnels7, à « consultation au cabinet par un médecin spécialiste qualifié », et non plus la case « C » (consultation par un médecin-omnipraticien).
La CPAM le poursuivit et exigea le prononcé d’une astreinte de 30 € par feuille de soin incorrectement remplie. P… perdit en première instance, gagna en appel.
Le péché d’orgueil
Le docteur P…, désormais fier comme un bœuf, quoique spécialiste en général, n’était en particulier pas juriste. Or, cette espèce-ci, dans un déni complet de la réalité, donne souvent des sens différents à des notions identiques. Comme le mathématicien précise préalablement son référentiel avant de commencer son étude, le Conseil d’État ajoute un modeste « au sens de… » lorsqu’il veut rappeler les contraintes de sa myopie. Ainsi, un « impôt » au sens du droit européen n’est pas un « impôt » au sens du droit français, la « bonne foi » au sens de l’article L. 118-3 du code électoral n’est pas la « bonne foi » de l’article 1135 du code civil.
Et, malheureusement pour le docteur P…, le médecin spécialiste au sens de l’arrêté du 30 juin 2004 n’est pas le médecin spécialiste au sens de l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale. Hélas, ce dernier texte, seul applicable en matière de conventionnement de médecins, distingue encore et toujours les conventions fixant les honoraires des spécialistes de celles des généralistes. P… allait découvrir, mais un peu tard, qu’il n’était jamais devenu spécialiste au « sens du code de la sécurité sociale ».
Épilogue
La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 20108, fit dégonfler le pauvre animal en lui prononçant deux simples mots : « motifs inopérants ». On rappellera que l’inopérance équivaut à une sorte de hors sujet juridique : la norme invoquée n’a aucun rapport avec l’espèce jugée.
Adieu veaux, vaches, cochons… Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris. Comme l’avait dit la CPAM de manière cynique : le bénéfice de la qualification de spécialiste en médecine générale ne sert aux intéressés qu’à leur « apporter un avantage concurrentiel ».
Retour à la case « C ».
1Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.
2Décret n°2004-252 du 19 mars 2004 relatif aux conditions dans lesquelles les docteurs en médecine peuvent obtenir une qualification de spécialiste.
3Est évoquée pour la première fois, dans l’article 2 de l’arrêté du 30 juin 2004 portant règlement de qualification des médecins, une « commission de qualification en médecine générale ».
4Arrêté du 22 septembre 2004 fixant la liste et la réglementation des diplômes d’études spécialisées de médecine.
5Article 2 de l’arrêté du 6 avril 2007 modifiant l’arrêté du 30 juin 2004 portant règlement de qualification des médecins, publié au JO le 18 avril, donc applicable à compter du 19.
6Arrêté du 8 mars 2010 modifiant l’arrêté du 30 juin 2004 portant règlement de qualification des médecins.
7Arrêté du 27 mars 1972.
8Civ 2e, 8 avril 2010, Bull. II n° 711, pourvoi n° 09-13 772, CPAM de la Drôme c/ M. P… et a.
Bon article, cependant je trouve que ce n’est pas présenté de manière particulièrement sympa pour ce médecin qui, comparé à la grenouille de la fable, se retrouve catalogué « petit présomptueux ». Il y a effectivement un vrai problème de jalousie entre les médecins, déjà entre le C=22€ et le CS=23 € (et non pas 25) ; et ensuite entre le secteur I : C=22 + dépassement=0 et le secteur II : C=22 ou 23+dépassement « avec tact et mesure »… (et en contrepartie la sécu prend en charge de manière différente une part des cotisations sociales.
La « vérité juridique » ne sert pour l’instant à la Sécu qu’à continuer à sous-payer les généralistes (relativement aux spécialistes). Un passage de 22 à 23 € ça fait une augmentation de combien en % ?
Le médecin est un peu à la convention ce que l’agriculteur est à la subvention…
@Dr Blue : vérité juridique, certes, mais qu’il importe d’expliquer vu l’incompréhension de juristes eux-mêmes.
En ce qui concerne les spécialistes, le tarif est bien à 25 €. Il se décompose en 23 € + majoration de 2 € de MPC (pour les médecins en secteur 1, cumulable avec CS).
Un passage de 22 € à 25 €, ça fait +13,6 %. On comprend la jalousie entre médecins !