Maître Afane-Jacquart, la garde à vue et les jurisprudences hétérodoxes

temple non orthodoxe

Par trois arrêts du 19 octobre 2010 (nos 10-85 051, 10-82 306 et 10-82 902), la chambre criminelle de la Cour de cassation jugea la garde à vue contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) en ce que la personne placée en garde à vue avait le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires. Il s’agissait d’un progrès majeur mais logique au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. 

 

Maître Afane-Jacquart contre la jurisprudence de la chambre criminelle

 Au lieu d’en tirer les conséquences nécessaires – annuler les gardes à vue irrégulières – la Cour de cassation estima que les règles protectrices de la CESDH ne pouvaient recevoir application immédiate (voir le communiqué) :

« ces règles de procédure ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ».

 Insatisfait de cette jurisprudence bien peu orthodoxe car violant le principe d’application immédiate de la CESDH, Maître Afane-Jacquart introduisit, devant le Conseil d’État, un recours pour excès de pouvoir contre une circulaire émanant du ministère de la justice. Cette circulaire prescrivait aux juges d’appliquer cette jurisprudence, c’est-à-dire de ne modifier en rien les pratiques.

 Le recours, enregistré le 24 décembre 2010, exposait sans ambiguïté :

« La circulaire s’abrite (…) derrière une interprétation de la jurisprudence de la Cour de cassation, elle-même incompatible avec la CESDH en tant qu’elle suspend l’application de ce traité jusqu’à la promulgation d’une nouvelle loi devant intervenir d’ici le 1er juillet 2011 ».

 L’inconventionnalité de la jurisprudence reposait sur ce que :

« La Convention prévoit explicitement que les États ne peuvent déroger à ses stipulations, sauf cas exceptionnel d’état d’urgence mentionné à l’article 15 (« En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation »). Même dans ces circonstances très exceptionnelles, les États ne peuvent écarter la CESDH mais uniquement adopter des mesures dérogatoires dans la « stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ». ». 

 

Le revirement de jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation

 Maître Afane-Jacquart se réjouit du revirement de jurisprudence réalisé par quatre arrêts du 15 avril 2011 rendus par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (nos 10-17 049, 10-30 313, 10-30 316 et 10-30 242, voir le communiqué).

 La Cour de cassation a jugé de manière solennelle que :

« les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».

 Ce revirement de jurisprudence conforte ainsi l’analyse juridique du cabinet Afane-Jacquart.

 

« Car tout le temps perdu ne se rattrape guère » ou la frilosité du Conseil d’État

 Pour donner toute effectivité à son recours pour excès de pouvoir, Maître Afane-Jacquart le doubla d’une requête en référé (article L. 521-1 du CJA) destinée à ce que l’application de la circulaire soit suspendue.

 Il était donc demandé au Conseil d’État, incidemment, de déjuger la jurisprudence (désormais obsolète) de la Cour de cassation.

 Le Conseil d’État, frileux, a botté en touche. Par une ordonnance du 28 décembre 2010, le juge des référés a estimé que :

« la circulaire contestée, qui se borne à rappeler les dispositions en vigueur du code de procédure pénale et à demander de veiller à leur application, ne porte à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre aucune atteinte de nature à constituer une situation d’urgence ».

 On ne peut que reprocher au juge administratif, lorsqu’il se retrouve dans une situation d’urgence, d’essayer souvent par tous moyens de « liquider » le problème sans grand égards pour la situation des requérants. Est exemplaire le cas de Marc Robert : alors qu’il était procureur général près la cour d’appel de Riom, M. Marc Robert, marqué à gauche, a été évincé de son poste par un décret de Nicolas Sarkozy du 23 juin 2009 pris sans que le Conseil supérieur de la magistrature ne soit entendu.

 Le Conseil d’État a certes annulé ce décret, mais seulement le… 30 décembre 2010. M. Robert avait eu beau demander que le décret soit immédiatement suspendu, le juge des référés du Conseil d’État a jugé que :

« la mutation, prononcée dans l’intérêt du service, d’un agent public d’un poste à un autre n’a pas de conséquences telles sur la situation ou les intérêts de cet agent qu’elle constitue une situation d’urgence ».

 Et pour parfaire le tableau, le Conseil d’État, constatant finalement que « l’annulation rétroactive de la nomination de M. ROBERT et de [son successeur] porterait une atteinte manifestement excessive au fonctionnement du service public de la justice », le Conseil n’a prononcé « l’annulation de la nomination de M. ROBERT et de celle de [son successeur] qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la date de la (…) décision ».

 Belle pratique que celle de Conseil d’État qui consiste à refuser de suspendre un acte illégal dès son édiction pour, finalement, porter atteinte au principe de rétroactivité de la jurisprudence pour des raisons d’opportunité !

 Là où la Cour de cassation efface humblement ses erreurs, le Conseil d’État les réitère !

1 réflexion sur “Maître Afane-Jacquart, la garde à vue et les jurisprudences hétérodoxes”

  1. Bien qu’une analyse strictement positiviste du droit européen aurait du donner droit aux demandes de Maître Afane-Jacquart devant le juge adminitratif (notamment au regard de la jurisprudence Salduz contre Turquie) je vois deux raisons à la frontière du droit qui expliquent ces solutions :
    D’une part, le Conseil d’Etat, à qui l’on reproche parfois de ne pas parfaitement jouer le jeu de transmetteur des questions prioritaires de constitutionnalité, a peut être voulu préserver la jurisprudence du Conseil constitutionnel (et la lettre de la constitution au détriment du droit européen) qui a reporté dans le temps les effets de sa décision censurant le régime de la garde à vue.
    D’autre part, le Conseil d’Etat parie sur la difficile saisine du juge de Strasbourg que ne peut pallier qu’une parfaite discipline des juges internes.
    Demeure une interrogation : la « nouvelle garde à vue » est à présent en vigueur, mais les procédures mises en oeuvre entre la décision de la Cour de cassation d’octobre et aujourd’hui vont elles être annulées ? La réponse varie-t-elle que ces procédures ont, ou non, abouti à une décision passée en force de chose jugée ?

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