La clinique, le communautariste et l’énoncé performatif du Conseil constitutionnel

♦ L’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dispose que :

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

C’est sur ce fondement que le raisonnement suivant est soutenu de manière quelque peu fallacieuse : s’il n’existait pas de distinction entre les hommes, il n’y aurait pas lieu d’en voir là où elles n’existent pas. L’intervention de l’État destinée à lutter contre les discriminations ne serait donc pas justifiée car, ce faisant, l’État devrait lui-même se fonder sur des distinctions qui n’existent pas pour les combattre. C’est peu ou prou ce qu’affirment les aficionados de l’observatoire du communautarisme…

♦ Quelle est la déficience de ce raisonnement ? Une confusion entre acte locutoire (qui énonce ce qui est) et acte perlocutoire (qui exprime ce qui doit être).

Pour autant, cette distinction peut se trouver anéantie là où le verbe crée. Pour reprendre l’exemple de J. L. Austin in How to do Things with Words (1962) (« Quand dire, c’est faire »), la phrase « je vous déclare mari et femme » est un énoncé performatif : elle décrit tant ce qui est et que ce qui doit être, dans un même temps.

♦ Saisi par plus de 60 députés et sénateurs sur la « loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires », les requérants soutenaient qu’intégrer

« des établissements privés pour exercer des missions de service public (…) tout en leur laissant la possibilité de choisir à la carte les missions effectives qu’ils entendent assurer, risque d’entraîner une variation quant à l’égalité d’accès aux soins ».

Le Conseil constitutionnel (décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009)  a estimé (considérant 5) que cette critique était infondée puisque

« les établissements de santé privés exerçant des missions de service public seront tenus, pour l’accomplissement de ces missions, de garantir l’égal accès de tous à des soins de qualité ».

En d’autres termes, les cliniques privées ne peuvent pas s’enrichir éhontément en choisissant leurs patients puisque le choix du patient est contraire au principe d’égal accès au service public.

 

Le Conseil constitutionnel a voulu voir dans un principe « performatif » une réalité établie. Ce faisant, il a fait acte de création de droit malgré un rejet apparent de la critique des requérants : désormais, la patient se voyant refuser l’accès à une clinique privée pourra invoquer ce considérant à l’encontre de la clinique (selon la méthode d’interprétation suivie dans l’affaire « Chirac » : Ass, 10 octobre 2001, Bulletin 2001 A. P. N° 11 p. 25). 

 

C’est ainsi que l’énoncé performatif du Conseil constitutionnel évitera que les cliniques de comportent… en établissements communautaristes pour patients fortunés !

 

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